DOCERE

Marie Noël

« Connais-moi si tu peux, ô passant, connais-moi!
Je suis ce que tu crois et suis tout le contraire :
La poussière sans nom que ton pied foule à terre
Et l'étoile sans nom qui peut guider ta foi.

Je suis et ne suis pas telle qu'en apparence :
Calme comme un grand lac où reposent les cieux,
Si calme qu'en plongeant tout au fond de mes yeux,
Tu te verras en leur fidèle transparence...

Si calme, ô voyageur... Et si folle pourtant!
Flamme errante, fétu, petite feuille morte
Qui court, danse, tournoie et que la vie emporte
Je ne sais où mêlée aux vains chemins du vent.

Sauvage, repliée en ma blancheur craintive
Comme un cygne qui sort d'une île sur les eaux,
Un jour, et lentement à travers les roseaux
S'éloigne sans jamais approcher de la rive...

- Si doucement hardie, ô voyageur, pourtant!
Un confiant moineau qui vient se laisser prendre
Et dont tu sens, les doigts serrés pour mieux l'entendre,
Tout entier dans ta main le cœur chaud et battant. -

Forte comme en plein jour une armée en bataille
Qui lutte, saigne, râle et demeure debout;
Qui triomphe de tout, risque tout, souffre tout,
Silencieuse et haute ainsi qu'une muraille...

Faible comme un enfant parti pour l'inconnu
Qui s'avance à tâtons de blessure en blessure
Et qui parfois a tant besoin qu'on le rassure
Et qu'on lui donne un peu la main, le soir venu...


Ardente comme un vol d'alouette qui vibre
Dans le creux de la terre et qui monte au réveil,
Qui monte, monte, éperdument, jusqu'au soleil,
Bondissant, enflammé, téméraire, fou, libre!...

Et plus frileuse, plus, qu'un orphelin l'hiver
Qui tout autour des foyers clos s'attarde, rôde
Et désespérément cherche une place chaude
Pour s'y blottir longtemps sans bouger, sans voir clair...

Chèvre, tête indomptée, ô passant, si rétive
Que nul n'osera mettre un collier à son cou,
Que nul ne fermera sur elle son verrou,
Que nul hormis la mort ne la fera captive...

Et qui se donnera tout entière pour rien,
Pour l'amour de servir l'amour qui la dédaigne,
D'avoir un pauvre cœur qui mendie et qui craigne
Et de suivre partout son maître comme un chien...

Connais-moi! Connais-moi! Ce que j'ai dit, le suis-je?
Ce que j'ai dit est faux - Et pourtant c'était vrai! -
L'air que j'ai dans le cœur est-il triste ou bien gai?
Connais-moi si tu peux. Le pourras-tu?... Le puis-je?...

Quand ma mère vanterait
A toi son voisin, son hôte,
Mes cent vertus à voix haute
Sans vergogne, sans arrêt;
Quand mon vieux curé qui baisse
Te raconterait tout bas
Ce que j'ai dit à confesse...
Tu ne me connaîtras pas.

Ô passant, quand tu verrais
Tous mes pleurs et tout mon rire,
Quand j'oserais tout te dire
Et quand tu m'écouterais,
Quand tu suivrais à mesure
Tous mes gestes, tous mes pas,
Par le trou de la serrure...
Tu ne me connaîtras pas!

Et quand passera mon âme
Devant ton âme un moment
Éclairée à la grand-flamme
Du suprême jugement,
Et quand Dieu comme un poème
La lira toute aux élus,
Tu ne sauras pas lors même
Ce qu'en ce monde je fus...

.............................
Tu le sauras si rien qu'un seul instant tu m'aimes! »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Connais-moi ..., éd. Poésie Gallimard, p. 38

« Fuis! Le bonheur n'est qu'une peine qui commence.
Quand il passe ici-bas c'est elle qu'il conduit.
Dès qu'avril fait un pas l'hiver au loin s'avance;
La vie ouvre à la mort, l'aube mène à la nuit »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Conseils, éd. Poésie Gallimard, p. 54

« Au mois de mai j'avais le cœur si grand
Que pour l'emplir je me suis en allée
Cherchant l'amour sans savoir quelle allée,
Pour le rencontrer, quel chemin on prend...

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du printemps, sais-tu s'il en reste encore?
L'hiver vient...

J'allais, j'allais. Où trouver de l'amour?
Au bas de la côte, au faîte, derrière?
Au fond du bois, au bout de la rivière?
Ici, là-bas, à ce prochain détour?...

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
De l'été, sais-tu s'il en reste encore?
L'hiver vient...

Quand je le vis, je n'osai pas à temps
M'en approcher ou lui faire une avance;
Je l'attendais ouvrant mon cœur immense...
Il n'est tombé qu'une goutte dedans...

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du soleil, sais-tu s'il en reste encore?
L'hiver vient...

Est-ce là tout, cette goutte, est-ce tout?
Je voudrais bien recommencer l'année,
La goutte d'eau qui m'était destinée,
Je voudrais bien la boire encore un coup...

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Des feuilles, sais-tu s'il en reste encore?
L'hiver vient...

Est-ce bien tout?... Peut-être, dans un coin
Que j'oubliai, peut-être avant la neige,
Un peu d'amour encor le trouverai-je,
Peut-être ici, peut-être un peu plus loin...

Rouge-gorge, au fond du bois incolore,
Au bout des sentiers dont il te souvient,
Du bonheur, sais-tu s'il en reste encore?
L'hiver vient... »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Chant de rouge-gorge, éd. Poésie Gallimard, p. 63

« Mais où me mettrez-vous, mon Dieu? … Pas en enfer;
Je n'eus pas dans le mal assez de savoir-faire.
Et pas au paradis : je n'ai rien pour vous plaire …
Hélas! me direz-vous comme le monde hier :

Va plus loin, va-t'en! Qui te connaît? Passe!
Tu n'es pas d'ici, cherche ailleurs ta place.

N'aurai-je au dernier jour ni feu, ni lieu, ni toit
Où reposer enfin ma longue lassitude?
Où m'enfermerez-vous - hélas! que j'aurai froid! -
Dans une lune vide avec ma solitude? …

Mais à quoi bon, Seigneur, chercher la fin de tout?
Vous arrangerez bien ceci sans que j'y songe.
Je m'en vais, mon chemin dénudé se prolonge …
Vous êtes quelque part pour m'arrêter au bout. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Cherche ta place, éd. Poésie Gallimard, p. 68

« Vous voir, le cœur apaisé,
J'y suis mal habile.
Mais t'aimer, le cœur brisé,
Ce m'est plus facile.
Va, peut-être aime-t-on mieux
Avec des pleurs dans les yeux. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Chanson, éd. Poésie Gallimard, p. 73

« J'ai mal... je ne sais pas où souffrir me conduit,
Et dans mon cœur j'entends un rossignol de flamme
Désepéré qui chante, chante à perdre l'âme.
Mais j'attends pour pleurer, comme j'attends la nuit! »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Dialogues, éd. Poésie Gallimard, p. 74

« Que n'est-il un lieu sûr, secret des hommes
De quoi tenir tous trois dans un pli de la nuit,
Fût-ce un cachot, où conserver le temps qui fuit!
Hélas! le ciel nous voit, la terre nous poursuit
Partout, la mort est partout où nous sommes. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, L'Épouvante, éd. Poésie Gallimard, p. 78

« Je suis tellement seule... Ah! mes vers, je sais bien
Que le Destin qui sert tant de gens à la ronde
Ne peut pas donner du bonheur à tout le monde...
Quand j'arriverai, sans doute, il ne lui restait rien.

Voyez, tous les chemins qui mènent à mon âme
Sont déserts. Si quelqu'un d'aventure y passa,
Il est toujours resté plus ou moins en deçà
De l'ombre où j'ai ma source, et mon trouble, et ma flamme. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Fantaisie à plusieurs voix, I - Prélude, éd. Poésie Gallimard, p. 80

« Longtemps... longtemps... longtemps... depuis que je suis née,
J'ai dans l'ombre sans fin préparé dans mon cœur
— Ai-je fini? Le soir m'a toute environnée —
J'ai préparé dans mon cœur, toute la journée,
Une place pour le bonheur.

Est-elle prête? Là, j'ai caché des paroles
Que je n'ai pas encore dites, non vraiment,
Elles sont pour parler trop douces et trop folles,
Un soir... — en attendant j'en use de frivoles —
Je les retrouverai je ne sais pas comment.

J'ai là... j'ai conservé s'il en veut mon enfance.
Son rire neuf — il n'a guère servi — ses yeux
Que l'heure belle étonne et son cœur sans défense
Qui va s'abandonner sans rien peser d'avance,
Un peu prompt, un peu fou, d'un mouvement joyeux.

J'ai là ses jeux naïfs, ses élans, sa folie
Qui rebrousse chemin, soudain prise de peur,
S'enfuit, se laisse prendre et tout le reste oublie.
Et là-dedans mêlée une mélancolie
Prête à pleurer, la sotte! au pLus doux du bonheur.

Et j'ai là — je suis sage aussi — de la lumière
Pour nos chemins de nuit, même un peu de raison,
Pas trop mais presque assez pour passer la première
Quand il fera plus noir que l'ombre coutumière,
Si le bonheur hésite un soir dans la maison.
..........

Suis-je prête? j'attends et je ne sais que faire
En attendant pour lui qui tarde. Il va venir.
Je vais, je viens, je vais, cherchant ce qu'il préfère,
Pour rassembler en moi de quoi le satisfaire
Tout le long de notre avenir.

Et je songe en allant et venant, et j'invente
Mille secrets tout neufs pour recevoir l'Amour
Dans ma pauvre demeure et des soins de servante
Pour qu'il s'y trouve bien à jamais moi vivante
Et n'en cherche pas d'autre un jour.

J'ourle la toile à points tout petits pour qu'il aie
Mon beau linge; pour lui, je réveille au matin
La bonne humeur de la maison luisante et gaie;
J'en chasse tout le gris, je range, je balaye,
Je cueille une rose au jardin.

J'apprête les repas pour qu'un jour il y goûte;
Je choisis à son goût ma robe d'aujourd'hui;
Si j'apprends des chansons, c'est pour qu'il les écoute;
Je retiens en passant le beau de chaque route
Pour y repasser avec lui.

Qu'il vienne avec sa charge et son deuil! j'ai de l'aide
Pour son travail, et pour ses rêves de l'espoir;
Pour son oeuvre, la foi; pour son mal, un remède.
Et du cœur plus que lui si jamais son cœur cède,
Pour porter nous deux son devoir.

Et puis, ô mon amour — car tant d'amour est vaine
Et je n'ai rien de plus que moi pour vous l'offrir -—
Si d'être aimée un jour je ne vaux plus la peine,
J'aurai.... d'humble pardon j'ai déjà l'âme pleine,
Déjà j'en commence à mourir.

Suis-je prête?.. Ah! j'ai beau lui préparer sa joie,
Tout me manque! Beauté, charme, esprit, je n'ai rien.
Ô mon dieu, que ne puis-je avant qu'il ne me voie
Me changer pour une autre ou tant faire qu'il croie
Par moments que je lui plais bien.

Suis-je prête?.. Le soir autour de moi frissonne.
J'ai filé de la soie en mon cœur tout le jour...
Qui s'en doute? Personne. Ah! tant mieux! Pour personne
— Passez gens : pour vous tous voilà ma voix qui sonne —
Je n'ai d'âme que pour l'Amour.
..........

L'Amour... Ah! le temps fuit et me laisse! La veille
Dans un lendemain vide est tombée. Et je vais
Toute seule et pourtant avant d'être si vieille,
J'avais quelque douceur... Je crois que j'en avais.

L'amour n'aura pas su comme j'étais charmante.
S'il avait su! Jamais il n'a vu ma beauté,
Il n'a pas même regardé de mon côté.
Tout est perdu de moi qui n'étais rien qu'aimante.

Tout est perdu, ce que je suis et ce que j'ai,
Comme de l'eau qui n'a personne pour la boire,
Comme un morceau de pain que nul n'aura mangé.
Et voilà qu'il me reste une âme dérisoire

Pleine d'un don immense et lourd sans rien donner,
Et de soumission sans maître; qui déborde
D'amour hors de l'Amour et de miséricorde,
Hélas! sans avoir rien au monde à pardonner.

Il me reste ce chant de trop que nul n'écoute.
Tout est perdu de moi, tout mon travail secret.
Tant pis pour moi, tant pis! Mais comme j'ai regret
Que tant de joie échappe à ce cœur seul en route,

Celui que j'attendais et qui loin s'en alla
S'égare et comme il peut à tous les vins s'enivre
Mais qui n'a pas trouvé de bonheur de quoi vivre,
Et qui pleure, et qui saigne, et mon cœur était là!

Et c'en est un pareil qu'il cherche, qu'il réclame...
C'est ma faute, ô mon Dieu! je l'ai trop bien caché.
Je n'ai jamais bien su moi-même où. J'ai péché.
Mon Père! Nul n'aura profité de mon âme.

Ah! du moins pour mourir demain en sûreté,
Que n'ai-je offert à Vous ce pauvre amour sans armes,
Ces soins, ce bondissant sacrifice, ces larmes,
Au bout cela m'eût fait beaucoup de sainteté.

Mais je n'ai rien cherché qu'à me faire jolie
Au fond du cœur pour le plaisir de mon époux
Et ne pensant qu'à lui n'ai songé guère à Vous.
Et toute ma vertu pour rien n'est que folie;


Et je ne vous rendrai quand Vous tendrez les mains
Aux fruits de mes saisons qu'un inutile charme,
Et j'aurai peur de Vous si rien ne Vous désarme
Lorsque Vous pèserez ce vide et mes jours vains.

Ah! Père Créateur qui jugerez ma cause,
Souvenez-Vous alors doucement du plaisir
Qu'un jour Vous eûtes à créer d'un seul désir
Le bleu de Votre ciel, cette inutile chose,

Les bêtes à Bon Dieu qui ne servent à rien
Qu'a réjouir le bord des feuilles, le col rose
Des liserons oiseux, le parfum de la rose
Qui s'exhale et se perd sans faire d'autre bien,


Et cette voix de rossignol dans la nuit close.
..........

Assez, Jeanne qui pleure.
Assez, assez, assez!
Ton cœur m'ennuie, assez! Je baille. A tout à l'heure!
Jean qui rit, mon cousin, me menez-vous danser? »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Fantaisie à plusieurs voix, II - Adante, éd. Poésie Gallimard, p. 82

« Dans mon cœur, hors du monde,
Voici le mois de Mai!...
- Dansons une seconde
Comme si c'était vrai! -
»

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Fantaisie à plusieurs voix, III - Danse, éd. Poésie Gallimard, p. 87

« Sautons dans l'herbe brune
Ou rose avec le vent,
Et sautons dans la lune
Si nous passons devant! »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Fantaisie à plusieurs voix, III - Danse, éd. Poésie Gallimard, p. 89

« Si quelque effroi circule
Dans l'ombre tout à coup,
Menons au crépuscule
La ronde au nez du loup. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Fantaisie à plusieurs voix, III - Danse, éd. Poésie Gallimard, p. 89

« Dors maintenant, dors... Détache de ton âme
Ses pensers volants, le bruit du jour, sa flamme,
Laisse le temps s'en retirer tout bas...
Hier n'est plus, ce soir n'est rien, demain n'est pas. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Fantaisie à plusieurs voix, V - Berceuse de la grand'mère, éd. Poésie Gallimard, p. 93

« La bête a dans son trou des petits à défendre
Et moi seule je suis telle que le désert
Vide, brûlant, sans route, à tous les vents ouvert,
Qui n'a jamais produit que nuages, que cendre.

Alors le Ciel m'a dit : « Les nuages s'en vont
Sans savoir où, transis, vagabonds, solitaires,
Mais ils font en pleurant germer en bas les terres
Et colorent les fleurs que les rosiers auront. »

Et la Terre m'a dit : « Va, ma petite fière,
Pour besogner encore il nous reste du temps.
Apporte-moi ton cœur… Je t'attends! Je t'attends!
Et nous travaillerons ensemble à ma poussière. » »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Les compagnons, éd. Poésie Gallimard, p. 113

« Dors sur ton bonheur, dors et chante en rêve,
Dors, sans avoir peur que la nuit s'achève
Dors, sans savoir peur que le jour se lève. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Berceuse d'actions de grâces, éd. Poésie Gallimard, p. 119

« Puis, dès la messe dite, au bois je m'en irai
Chercher Dieu pour qu'il sème en ce cœur sans ressources
Et si j'ai les yeux purs au bois je trouverai,
Gardant son Agneau blanc, attentive à mes courses,
Notre Dame Marie assise au bord des sources. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, À Laudes, éd. Poésie Gallimard, p. 126

« Rien n'est vrai que d'aimer... Mon âme, épuise-toi,
Coule du puits sans fond que Jésus te révèle,
Comme un flot que toujours sa source renouvelle,
Et déborde, poussée en tous sens hors de moi. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, À Tierce, éd. Poésie Gallimard, p. 130

« Mais ô Pasteur si demain je m'en vain
Poussée à tous hasards d'un caprice mauvais
Seule ingrate au milieu de ces bêtes fidèles,
Ô Maître, malgré tout, ô Maître, aucune d'elles
- Et Vous qui savez tout certes le savez bien,
Vous que je navre et qui ne m'en voulez de rien -
De ces brebis suivant la route au clair de lune,
Pas une autant que moi, l'indocile, pas une
Ne sait ô cher Berger combien vous êtes bon.

Et simplement je me fie à votre pardon,
Moi rebelle, têtue et bien toujours la même,
Incorrigible, hélas! hélas! mais qui vous aime! »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, À None, éd. Poésie Gallimard, p. 139

« Je ne suis pas un saint, mon Dieu, pour que tu veuilles
Me bercer dans tes bras et chasser mes frissons.
Je ne suis qu'un enfant, je n'ai que mes chansons
Et je ne vaux pas mieux qu'un oiseau sous les feuilles.

Et je ne sais pourquoi tu m'aimes... Les chemins
Me mènent tous à Toi, sans lutte, sans secousses;
Le sommeil - ou la mort - glisse dans la nuit douce...

Bonsoir Père, reçois mon âme entre tes mains. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, À Complies, éd. Poésie Gallimard, p. 144

« Alors, pour traverser la nuit, comme une femme
Emporte son enfant endormie, ô mon Dieu,
Tu me prendras, tu m'emporteras au milieu
Du ciel splendide en ta demeure où peu à peu
Le matin éternel réveillera mon âme.
»

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Vision I, éd. Poésie Gallimard, p. 150

« La Vierge Marie est penchée au bord
De son cœur profond comme une fontaine
Et joint ses deux mains pour garder plus fort
Le ciel jaillissant dont elle est trop pleine.
»

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Annonciation, éd. Poésie Gallimard, p. 163

« Marie :
Je me hâte, je prépare,
Car nous entrons en Avent,
Je me hâte, je prépare,
Le trousseau de mon Enfant.

Joseph a taillé du hêtre
Pour sa Couchette de bois;

Les Anges :
Les Juifs tailleront du hêtre
Pour Lui dresser une Croix.

Marie :
J'ai fait de beaux points d'épine
Sur Son petit bonnet rond;

Les Anges :
Nous avons tressé l'épine
En couronne pour Son front.

Marie :
J'ai là des drapeaux de toile
Pour L'emmailloter au sec;

Les Anges :
Nous avons un drap de toile
Pour L'ensevelir avec.

Marie :
Un manteau de laine rouge
Pour qu'Il ait bien chaud dehors;

Les Anges :
Une robe de sang rouge
Pour Lui couvrir tout le corps.

Marie :
Pour Ses mains, Ses pieds si tendres,
Des gants, des petits chaussons;

Les Anges :
Pour Ses mains, Ses pieds si tendres,
Quatre clous, quatre poinçons.

Marie :
La plus douce des éponges
Pour laver Son corps si pur;

Les Anges :
La plus dure des éponges
Pour L'abreuver de vin sur.

Marie :
La cuiller qui tourne, tourne,
Dans Sa soupe sur le feu;

Les Anges :
La lance qui tourne, tourne
Dans son Cœur. Un rude épieu.

Marie :
Et, pour Lui donner à boire,
Le lait tiède de mon sein;

Les Anges :
Et, pour Lui donner à boire,
Le fiel prêt pour l'assassin.

Marie :
Au bout de l'Avent nous sommes,
Tout est prêt, Il peut venir…

Les Anges :
Tout est prêt, Tu peux venir,
Ô Jésus, sauver les hommes »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Chant de la Vierge Marie, éd. Poésie Gallimard, p. 170

« Gardez un petit espace,
Ô maisons, pour Dieu qui passe. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Noël et morale aux maisons sur la prudence, éd. Poésie Gallimard, p. 178

« Mon Dieu, qui dormez, faible entre mes bras,
Mon enfant tout chaud sur mon coeur qui bat,
J'adore en mes mains et berce étonnée,
La merveille, ô Dieu, que m'avez donnée.

De fils, ô mon Dieu, je n'en avais pas.
Vierge que je suis, en cet humble état,
Quelle joie en fleur de moi serait née?
Mais vous, Tout-Puissant, me l'avez donnée.

Que rendrais-je à vous, moi sur qui tomba
Votre grâce? ô Dieu, je souris tout bas
Car j'avais aussi, petite et bornée,
J'avais une grâce et vous l'ai donnée.

De bouche, ô mon Dieu, vous n'en aviez pas
Pour parler aux gens perdus d'ici-bas…
Ta bouche de lait vers mon sein tournée,
Ô mon fils, c'est moi qui te l'ai donnée.

De main, ô mon Dieu, vous n'en aviez pas
Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las…
Ta main, bouton clos, rose encore gênée,
Ô mon fils, c'est moi qui te l'ai donnée.

De chair, ô mon Dieu, vous n'en aviez pas
Pour rompre avec eux le pain du repas…
Ta chair au printemps de moi façonnée,
Ô mon fils, c'est moi qui te l'ai donnée.

De mort, ô mon Dieu, vous n'en aviez pas
Pour sauver le monde… Ô douleur! là-bas,
Ta mort d'homme, un soir, noir, abandonnée,
Mon petit, c'est moi qui te l'ai donnée. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Berceuse de la Mère-Dieu, éd. Poésie Gallimard, p. 188

« Jésus, Roi d'Israël, triomphateur paisible,
Aidez-moi! Je ne sais presque plus où je vais
Depuis que m'a touchée un grand cœur invisible
Sur ce trop beau chemin bon peut-être... ou mauvais.

J'ai peur. Ah! prenez-moi - je suis peu de charge -
Jésus, pour traverser la place devant tous,
Prenez mon ombre et moi qui n'en menons pas large
Sur le petit ânon tout à côté de vous. »

— Marie Noël, Les Chansons et les Heures. Le Rosaire des joies, Marche des Rameaux, éd. Poésie Gallimard, p. 203

« À tous ceux-là qui très loin sont captifs
Dans le silence; aux âmes enchaînées
Par la longueur des muettes années
En nul ne sait quels abîmes plaintifs;
À ceux dont l'ombre a tant de murs sur elle
Qu'ils n'ont jamais pu donner de nouvelle
De leur nuit noire aux gens qui sont dehors;
Ceux pleins d'appels dont nulle voix ne sort,
Dont le secret cherche un mot qui l'emporte;
Ceux dont le cœur bat sans trouver de porte,
À tous ceux-là - je ne sais pas combien -
Je viens. Je suis petit oiseau, je viens.
Je viens, je suis moucheron, un rien frêle.
Une aile. Et j'ouvre et je donne mon aile
Pour alléger leur épaule et mon chant
Pour délivrer leur âme à travers les champs.
Je viens. J'ai pris dans leurs fers, à leur place,
Leur cœur en moi pour m'envoler avec.
»

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Chant de la Merci, éd. Poésie Gallimard, p. 14

« Jadis, les mouvements imprévus de mon cœur,
Je les faisais; les mots qui passaient dans ma tête,
Je les disais. Dire et faire étaient une fête,
     Mais maintenant j'ai peur.

Ce que j'ai dit, j'ai peur après de l'avoir dit.
Ce que je fais, je m'en repens s'il me regarde.
À chaque pas j'ai peur de prendre par mégarde
     Un chemin interdit. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Captive, éd. Poésie Gallimard, p. 21

« Ah! qu'un jour le bonheur s'approche
Et puis qu'il s'éloigne à jamais,
À qui puis-je en faire un reproche?
Je le savais bien. Je savais »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Désenchantement, éd. Poésie Gallimard, p. 27

« J'ai dans le cœur ce vain amour...
Ô vous qui périssez autour,

Si le chemin est dans mon cœur,
C'est que le pays est ailleurs;

L'Amour, en mon cœur d'un moment,
S'il souffle, ailleurs est né le vent.

L'Amour, en mon cœur de hasard,
S'il passe, il demeure autre part.

L'Amour que je loge à l'étroit,
Il habite un divin endroit,

Un lieu sans limite, sans murs,
Derrière tous les lieux obscurs. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Chant dans la nuit, éd. Poésie Gallimard, p. 53

« Mon Dieu, gardez mon âme et puis faites du reste
     Ce que vous voudrez.
»

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Assomption, éd. Poésie Gallimard, p. 60

« Moi, ce cerveau hanté de fièvre dont la peine
S'enfle et de sa fumée étouffe le jour bleu;
Ce vieil esprit qui vague et qu'en vain je ramène
Des pays noirs, du cauchemar, du mauvais lieu;

Moi, ce fourbe qui n'a de bonté qu'en chimère,
Que je hais d'être faux et sincère à moitié...
Paix, paix! Il faut t'aimer aussi toi bien qu'amère,
Il faut de toi pauvre âme, avoir aussi pitié.

N'es-tu pas ton prochain comme un autre? Le pire.
Allons, supporte-toi comme un autre, sans fiel.
Paix à toi, ma misère, ô mon âme, respire
Comme un champ labouré la tendresse du ciel.

Paix! ô stérile. Paix! vaine ouvrière, essuie
Ta sueur, à présent laisse travailler Dieu.
C'est son tour. Devant lui, repose, attends la pluie
Qui descend sur les prés coupés au matin bleu.

Paix, besogneuse, paix! Dors, pauvresse hâlée,
Pleine de soif, ah! dors. Avec toi je m'enfuis
Dans l'ombre où se répand la divine vallée.
Dors! pendant que tu dors, nous trouverons le puit. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Prélude et exercice : II, éd. Poésie Gallimard, p. 72-73

« Mon Dieu, source sans fond de la douceur humaine,
Je laisse en m'endormant couler mon cœur en Vous
Comme un vase tombé dans l'eau de la fontaine
Et que Vous remplissez de Vous-même sans nous.

En Vous demain matin je reviendrai le prendre
Plein de l'amour qu'il faut pour la journée. Ô Dieu,
Il n'en tient guère, hélas! Vous avez beau répandre
Vos flots en lui, jamais il n'en garde qu'un peu.

Mais renouvelez-moi sans fin ce peu d'eau vive,
Donnez-le-moi dès l'aube, au pied du jour ardu
Et redonnez-le-moi lorsque le soir arrive,
Avant le soir, Seigneur, car je l'aurai perdu.

Ô Vous de qui le jour reçoit le jour sans trêve,
Par qui l'herbe qui pousse est poussée en la nuit,
Qui sans cesse ajoutez à l'arbre qui s'élève
L'invisible hauteur qui dans l'air le conduit,

Donnez à mon cœur faible et de pauvres limites,
Mon cœur à si grand'peine aimant et fraternel,
Dieu patient des œuvres lentes et petites,
Donnez à chaque instant mon amour éternel. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Prélude et exercice : III, éd. Poésie Gallimard, p. 73-74

« C'est difficile, ô Dieu, même quand on l'oublie,
De marcher tous les jours sans soleil dans le cœur,
De passer sans entrer sur le seuil des tendresses.
Père, ah! qu'un peu d'amour par pitié la caresse,
Être heureuse un moment lui ferait tant de bien!... »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Prière pour toutes sortes de nécessités, éd. Poésie Gallimard, p. 76

« Les pauvres gens sans science,
Se confiant au ciel noir,
Mêleront leur patience
À votre œuvre sans la voir. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Chant de la Divine Merci, éd. Poésie Gallimard, p. 86

« Vous mangerez mon repas sans être nourris avec,
Et dans le livre où j'ai bu vous demeurerez à sec...

Je pleure... Vous sortirez de ma demeure pillée,
Les mains vides, les pieds nus et l'âme déguenillée,

Ô vous qui n'atteindrez pas l'amour qui coule à travers
Les pierres de ma contrée et ma joie aux champs ouverts

Vous qui n'arriverez pas à l'eau vive en ma fontaine,
Ô vous que voici prenant ce perdu chemin de haine. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Pleurs sur la foule, éd. Poésie Gallimard, p. 92

« Dieu dont l'excès de Dieu n'a rien qui le repose
     Hors la faim,
Dieu, tant que sera Dieu, sera-t-IL autre chose
     Que du pain?...

Demain nous le prendrons dans notre main qui tremble,
     Humble, doux.
Nous le romprons et nous le mangeront ensemble,
     Chacun, tous.

Demain, pour nous déclarer comme une troupe
     Lasse, à jeun,
Nous le prendrons, nous le boirons dans notre coupe,
     Tous, chacun.

Comme le vin qui passe et d'une table humaine
     Fait le tour,

De l'une à l'autre main il renouera la ronde
     Jusqu'aux cieux,
La danse au cœur unique où palpite le monde
     Avec Dieu.

Et nous la mèneront par une folle voie :
     Lui devant
Blessé, tué, mangé; nous, dans sa vaste joie
     Le suivant.

Prenez, mangez, ô vous que la faim inquiète,
     Mon Fils est mort
Donné pour vous, et nous tous qui sommes les miettes
     De son corps.


Prenez, mangez, prenez, hommes! Mon aventure
     De bonheur,
Est toute en votre bouche où, donnée en pâture,
     Je me meurs.

Nourrisez-vous de moi, buvez toute mon âme
     Comme une eau
Qui coule, usez mon corps chargé de vous qu'entame
     Son fardeau. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Adam et Ève - IV : Prophétie, éd. Poésie Gallimard, p. 118-119

« Le laboureur et son âne et l'orge folle
Dans la plaine et le blé travaillent au pain...
Un oiseau qui n'est bon à rien passe, vole
Sans ouvrage à travers le ciel sans chemin

..........

Les cœurs flottants entre le ciel et la terre,
Pour les attraper en vol, l'homme est trop bas,
Et Dieu vainement essaie en son mystère
De les prendre. Il est trop haut et ne peut pas.

Les cœurs irrésolus que Dieu saint effraye
Vaguent loin du sol sans atteindre l'azur...
Un oiseau qui n'est bon à rien sur la haie
Chante, chante plus haut sur un arbre obscur.

Un oiseau qui ne sait pas où les attire
De feuille en feuille autre avec son chant qui fuit
Vers une clairière incertaine où respire
La fleur seule qu'il faut ceuillir aujourd'hui.

Un oiseau qui ne sait pas où les emmène
De ciel en ciel qu'il ignore dans un lieu
Si bleu, si pur que c'est là peut-être à peine
Peut-être là, le commencement de Dieu. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Un Oiseau..., éd. Poésie Gallimard, p. 137

« Tant mieux! Dire paroles vaines,
Mettre mots sens dessus dessous
En noir, en deuil, est-ce la peine
Pour qui ne valait que deux sous? »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Chanson de la petite fille de deux sous, éd. Poésie Gallimard, p. 143

« Tous les pécheurs, ces pauvres gens
Que se salirent en chemin
Avec la chair, avec l'argent
Trouveront un soir dans un champ
Une Eau pour se laver les mains. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, L'Autre, éd. Poésie Gallimard, p. 173

« Ô vous tous qui pécheurs étiez
Et pleurâtes, allez en paix
Lavés de divine pitié
Et rendus propres tout entiers.
Mais lui ne pleurera jamais.

Lui, l'Autre, dressé comme un mur
Où Dieu vient heurter son empire,
Lui, l'Autre sans autres, le Pur,
L'Inaltéré, l'ange à l'œil dur

L'orgueil!
Mais le mensonge est pire. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, L'Autre, éd. Poésie Gallimard, p. 174

« Il avait le corps d'un serpent
Et les yeux d'un Ange qui ment.
Prends garde, Chevalier, prends garde!
Mort à toi, Mort! s'il te regarde...

Mort! L'innocence du Mensonge
Coule, fausse, de ses yeux pers.
Prends garde, Chevalier! Qui plonge
Sa vie en ces yeux-là, l'y perd.

Mais si cherchant noble aventure
Tu veux l'aller combattre, alors,
Lave-toi l'âme et la figure,
Confesse au prêtre cœur et corps,

Mets alors, mets brûler un cierge
Et mains jointes bon Chevalier
À genux aux pieds de la Vierge
Implore d'Elle un bouclier,

D'Elle céleste, pour armure
Reçois le globe de cristal
Où se brisera dans l'eau pure
La flèche du regard fatal,

Limpide plus devant ta face
Que pleur de Sainte au Paradis
Oppose en combattant sa Grâce
À la prunelle du Maudit,

Puis, marche, avance et te hasarde
À travers l'ombre et les effrois
Sus au Reptile... mais prends garde,
Prends garde...
     Je prierai pour toi. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Gargouilles pour une cathédrale - I : Le Basilic, éd. Poésie Gallimard, p. 175

« Présente à mes côtés
Vous étiez là, Marie,
Présente à mes côtés,
Double et seule Beauté :

Reine assise pour nous
Sous un buisson de roses,
Reine assise pour nous,
L'Enfant sur vos genoux »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Adieu aux images, éd. Poésie Gallimard, p. 180

« Et Vous, Dieu le sublime,
Au front chargé d'abîme,
Où donc avez-vous fui,
Créateur de la Nuit? »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Adieu aux images, éd. Poésie Gallimard, p. 182

« Où êtes-vous allés
Mes Compagnons d'Images,
Où êtes-vous allés,
Vous en vain rappelés?

Qui vous a sur le tard
Chassés hors de ma vue?
Qui vous a sur le tard
Otés à mon regard

Pour me punir les yeux
D'avoir éteint le monde,
Pour me punir les yeux
D'avoir trahi les Cieux?

Mes fidèles du soir,
Mes hôtes d'âge en âge,
Mes fidèles du soir
Qui m'étiez beaux à voir,

Dites, où donc, ô Vous
Désormais infidèles
Dites, où donc, ô Vous
Êtes-vous allés? Où,

Mes bénis, mes perdus,
Mes belles gens d'Images,
Mes bénis, mes perdus
Que je ne verrai plus? »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Adieu aux images, éd. Poésie Gallimard, p. 182-183

« Quand vieille au monde seras
Et que tort à toi fera
     En coulant chaque heure,
Quand n'auras plus d'avenir
Pour demain que de finir
     Sans chance meilleure;

Ne trouble de vains combats
Ni de plaintes le temps las
     De toi qui s'achève,
Ne réclame rien à rien,
Laisse aller ce que tu tiens
     Au vent qui l'enlève.

Va - chemin chétif et court -
Où temène le secours
     Qui passe. N'implore
Que le peu qu'il faut de soins
D'un matin à l'autre... ou moins...
     Pour durer encore.

Que le peu qu'il faut de pain
Au reste humble de ta faim
     Inutile bouche,
Sois entre et vivre et mourir,
Sois plus minime à nourrir
     Qu'en l'air une mouche.

Et puisque veut aujourd'hui
Que sur son épaule autrui
     À demain te porte
Ô croix à travers la nuit,
Fais-toi plus légère à lui
     Qu'une feuille morte. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Sentes pour le dernier âge, éd. Poésie Gallimard, p. 184

« À ton Fils qu'on attend
Ce soir à la veillée,
À ton Fils qu'on attend
À la minuit chantant,

Qu'apporterai-je, ô Toi
Seigneur qui m'as créée?
Qu'apporterai-je, ô Toi
Pour hommage de moi?

Moins que paille, un fétu
D'herbe vieille et brisée,
Moins que paille, un fétu...
Seigneur en voudras-Tu?

Et ces brins - si les veux -
D'une branche cassée,
Et ces brins, si les veux...
Et la cendre du feu.

La cendre où bat encor
- L'entendras-Tu? - Glacée,
La cendre où bat encor
Le cœur d'un grillon mort. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Noël des balayures, éd. Poésie Gallimard, p. 192

« Tout est passé, la fleur d'avril
La fleur du temps, la fleur de l'âge,
L'Étoile qui fut de passage
Au ciel fané, qu'en reste-t-il?

Pas à pas le pied affaibli
De qui s'en va vers la nuit noire
A perdu d'oubli en oubli
Ses chemins à travers mémoire.

Mais en l'ombre où l'Étoile a lui
De premier heur en fin dernière
S'élève au retour aujourd'hui
L'Alléluia de la poussière.
»

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Alléluia, éd. Poésie Gallimard, p. 197

« Ignorante de ma source,
Âme, et du but de ma course
En peine à travers les jours,
Rien n'ai su, rien, qu'à la suite
D'un Fils d'Homme être conduite
De l'Amour-Père à l'Amour. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Où vais-je, éd. Poésie Gallimard, p. 205

« Où plus n'est île, j'entends
Bruire, immense murmure,
L'Amour, ma partie obscure
Où l'Amour, Dieu sans figure
D'avant et d'après le Temps,
     M'attend. »

— Marie Noël, Les Chants de la Merci. Chants des Quatres-Temps, Où vais-je, éd. Poésie Gallimard, p. 206